Le 22 octobre, le ministre de l’Éducation, de la Jeunesse et des Sports a annoncé le lancement d’un Grenelle de l’éducation. L’objectif ? Rassembler les acteurs de l’éducation, des experts et la société civile dans un dialogue qui devrait aboutir en un projet pour l’école de la République. A l’issue de ce Grenelle, des propositions concrètes devront être discutées dès février 2021. Dans le cadre de cette initiative, le Conseil Scientifique de l’Éducation Nationale a tenu le premier décembre un colloque au thème très percutant, « Quels professeurs au XXIème siècle ? », afin de faire avancer la réflexion sur le métier d’enseignant ainsi que les défis et opportunités de la profession. L’IA pour l’Ecole y a assisté et vous apporte l’essentiel des thématiques abordées.
« Les professeurs au XXIe siècle, nouvelles pratiques, nouvelles missions ? »
La première conférence invite à penser les contenus des cours face aux enjeux contemporains, aux différentes pratiques pédagogiques ainsi qu’au sujet de la citoyenneté et la manière de l’enseigner. Des lacunes persistent sur les questions de compétences sociales et comportementales, ajoutant à cela un manque de confiance en soi particulier aux élèves français selon une étude PISA. En outre, les inégalités se creusent et les mesures actuelles ne sont pas estimées à la hauteur des attentes en termes d’efficacité par rapport à leurs coûts. Néanmoins, et heureusement, des solutions existent comme le programme Énergie Jeunes, peu couteux et à fort impact. D’après les intervenants, la compétition et la peur d’échouer qui fragilisent les élèves les plus modestes doivent laisser place à une plus grande coopération. Il est également nécessaire pour cultiver un sentiment d’inclusion de prendre en compte l’hétérogénéité et la diversité dans la classe.
« Quels recrutements, quelles mobilités, quelles formations pour le professeur du XXIe siècle ? »
La deuxième thématique fut davantage centrée autour du professeur. A ce niveau, l’INSPE a constaté une baisse considérable du nombre de candidats et souligna l’importance de rendre la formation plus attractive. Selon Alain Frugière, professeur et président du réseau INSPE, l’expérience de terrain doit faire partie intégrante de la formation et doit avoir un rôle central. De plus, il est recommandé d’insister sur l’esprit critique et la capacité de remise en question de ses pratiques dans un dialogue entre les professeurs et les chercheurs. Quant au numérique, il est vrai que le passage massif imposé par la crise n’a pas été anticipé. L’usage raisonné et efficace des outils est important, surtout dans la création des activités mais aussi dans la manière d’appréhender les réseaux sociaux.
Selon Elena Pasquinelli, chercheuse en philosophie et sciences cognitives à l’ENS, il faut impliquer les enseignants à tous les stades de la recherche afin d’être en mesure de faire face aux défis que constituent l’hétérogénéité des classes, les biais qui peuvent avoir lieu, les médias sociaux etc. Pour y arriver il s’agit de créer un écosystème d’outils validés par la recherche avec des retombées positives sur la communauté éducative en termes de coopération et d’évolution des pratiques. L’efficacité qui en résulte apportera forcément une satisfaction personnelle aux professeurs et contribuera à leur épanouissement.
« Numérique et enseignement, collectifs et apprentissages : vers de nouvelles conditions de travail ? »
Les participants insistèrent pour dire qu’il ne s’agit pas de faire du « tout numérique », mais plutôt de bien sélectionner les logiciels et les contenus selon leur utilité avérée et l’expérimentation. L’équipement est important certes, mais le consensus est autour d’une formation adéquate à l’usage de la technologie et d’un engagement des élèves en plus de celui des professeurs. Comment prévoir un usage approprié ? L’Université d’Ottawa a élaboré par exemple la « Chenine Charter » qui sert de guide pour mesurer le bon usage de la technologie.
Pendant ce panel, un bilan de la situation des professeurs et du personnel éducatif a été dressé par Maryse Lassonde, présidente du Conseil Supérieur de l’Éducation au Québec,. Elle a notamment mis l’accent sur la santé et le bien-être mental des enseignants. En effet, il est question d’épuisement professionnel, de fatigue émotionnelle, de dépersonnalisation et d’un sentiment de réussite en décroissance, ce qui mène à la perte de confiance en ses compétences. Néanmoins, face à ce portrait assez sombre, des solutions existent et la professeure nous en a fait part. Parmi elles, la formation des enseignants à cinq ensembles de compétences sociales et émotionnelles, à savoir, la conscience de soi, l’autogestion, la conscience sociale, l’habileté relationnelle et la prise de décision responsable. Le collaboratif « CASEL » propose cet apprentissage au Canada, et nous pouvons nous en inspirer afin de mieux valoriser les enseignants et les préparer aux défis qu’ils connaitront au long de leurs carrières.
« Les gouvernances des systèmes éducatifs à l’épreuve, pour quelles transformations ? »
En réponse à cette question plusieurs idées ont été avancées, notamment celle du développement de la culture de l’autonomie des établissements et de leur évaluation. Béatrice Gille, présidente du Conseil d’évaluation de l’École a mis en avant les avantages liés à l’évaluation et l’auto-évaluation des établissements ainsi que les répercussions positives avérées qu’elles peuvent avoir sur la gouvernance, l’implication des professeurs et la progression des élèves. L’intervention d’Andreas Schleicher, directeur de l’Éducation et des Compétences à l’OCDE fut particulièrement distinguée et s’est intéressée à la profession de l’enseignement. Selon lui, une adaptation est nécessaire car contrairement aux révolutions industrielles précédentes, celle de l’intelligence artificielle est davantage disruptive pour l’éducation. Il faut dès lors préparer ces générations à l’acquisition de compétences demandées par les entreprises. Cependant, il avança que l’apprentissage n’en est pas pour autant transactionnel et qu’il reste profondément social et relationnel. Il ajouta que les professeurs français sont beaucoup plus forts pour la gestion de la classe et la clarté des consignes que dans le développement cognitif et les activités améliorées destinées aux élèves. Les préconisations qui en découlent appellent à une plus grande profondeur à apporter à l’apprentissage, une collaboration entre professeurs, entre directeurs et une valorisation plus importante du métier d’enseignant.
Pour conclure
Ce colloque fut certes l’occasion d’échanger des idées très importantes pour l’avenir de l’école mais il a également permis un travail d’introspection de l’écosystème des acteurs de l’éducation. Dès lors, le Grenelle de l’éducation est une opportunité à saisir afin d’apporter des solutions adaptées aux besoins et défis rencontrés aujourd’hui, mais aussi et surtout aux objectifs pour l’école de demain. Notre Fondation continuera à agir en vue d’encourager et soutenir l’atteinte de ces objectifs.