Le dernier souffle d’une année hors du commun

A l’approche de 2021, l’impact de la crise sanitaire pèse toujours sur le monde des technologies et de l’éducation. Ces derniers mois ont constitué un défi pour le personnel éducatif, les institutions ainsi que les élèves et leurs parents. Mais comme nous l’avons observé à plusieurs reprises, ils ont également présenté une opportunité pour la modernisation de l’école et pour les professionnels de la EdTech de faire valoir leur travail.

Si l’année touche à sa fin, l’essor des applications de l’intelligence artificielle et du numérique au service de l’éducation ne fait que commencer. Nous nous intéressons donc aux dernières actualités qui marquent le ton pour la transition (nous l’espérons) vers l’école du 21ème siècle.

À l’international, mouvement pour l’inclusion

Si le sujet de l’éducation par le numérique est au cœur du débat depuis quelques années et en particulier depuis le début de la crise, la connectivité demeure une contrainte importante pour une grande part de la population écolière et étudiante dans le monde. L’organisation UNICEF s’est penchée sur la question en lançant  « Reimagine education » – ou « Ré imaginer l’éducation ». Cette action est partie de l’estimation alarmante de la Banque Mondiale que $10 trillions seront perdus en revenus au cours de la vie de la génération future si aucunes dispositions urgentes ne sont prises. Dès lors, il faut réinventer l’éducation, et pour cela une grande part du travail et du budget concerne la connexion de chaque enfant. Pour environ 3.5 milliards de personnes d’ici 2030, il s’agit de passer à des solutions digitales de qualité offrant un service éducatif personnalisé. Par ailleurs, le coût de l’éducation numérique pour chaque enfant sera d’environ $474.5 milliards d’ici 2030, mais pourrait être considérablement plus bas avec une implémentation à grande échelle. Cette action est encourageante pour les enfants les plus défavorisés car elle prévoit de réduire la fracture numérique.

Toujours sur la thématique de l’inclusion, cette fois-ci des filles au monde de l’intelligence artificielle qui reste majoritairement masculin, l’UNESCO s’attèle à la tâche. En partenariat avec Technovation, membre de la Coalition mondiale pour l’éducation, l’organisation a lancé le Laboratoire d’idées. Ce programme a permis à des filles du monde entier de continuer à étudier à distance pendant la pandémie, en collaboration avec leurs pairs et leurs mentors à travers le monde. Hébergé notamment par Google Classroom, le dispositif s’est intéressé tout particulièrement à l’intelligence artificielle et a connu du succès : une étude postérieure a montré qu’au moins 60% des participantes estiment avoir gagné en auto-efficacité, et en compétences.

Cette initiative s’inscrit dans un contexte plus large du travail de l’UNESCO vis-à-vis de l’IA – et ce n’est pas passé inaperçu ! Grâce à ses efforts, en particulier sur l’élaboration d’une recommandation mondiale autour de l’éthique de l’IA, l’UNESCO est parmi dix lauréats du prix « initiatives d’intelligence artificielle ayant un impact social et éthique » décerné par Telefonica, OdiseIA, et Compromiso Empresarial.

Ainsi, le niveau international n’est pas à négliger en ce qui concerne l’avenir de l’IA dans l’éducation. Ces organisations permettront notamment de centraliser des bonnes pratiques venant de partout et d’éclairer sur des solutions ou des principes qui pourront guider la transition vers les usages nouveaux de la technologie.

Guider la collaboration sur le numérique

A l’échelle nationale, des réflexions sont également développées et partagées en vue d’enrichir le débat et de le diriger vers une dimension plus concrète et opérationnelle. A titre d’exemple, l’Inria publia récemment un livre blanc qui examine les défis et les enjeux centrés autour du numérique et de l’éducation. Les auteurs identifièrent trois défis majeurs qui concernent la formation des professeurs, la réussite pour tous et l’inclusion numérique. Afin de répondre aux questions liées au numérique pour l’éducation et dans l’éducation, les auteurs proposent des recommandations. Les trois axes sur lesquels il faudrait se focaliser selon eux sont les suivants : l’action de recherche, la formation au numérique et l’action publique. Il devient dès lors clair que le travail sur l’éducation de l’avenir doit être pluridisciplinaire et multisectoriel. Tous les acteurs doivent être impliqués mais aussi se sentir concernés par la situation pivotale rencontrée aujourd’hui.

Cette dimension de collaboration nécessaire entre les filières se retrouve également dans le guide pratique produit par le groupe de réflexion Impact IA. A destination du gouvernement français, ce document a été créé en partenariat avec des PME, des start-ups et des entreprises du CAC40 en vue d’accompagner la mise en œuvre d’une intelligence artificielle française digne de confiance. Un élément inévitable pour la réalisation de cette ambition reste la préparation des talents pour l’économie et les industries vers lesquels l’on se projette.

Qui dit formation, dit formateur. Qu’en est-il donc des professeurs ?

 Des ressources plus nombreuses pour les enseignants

Livrés à eux-mêmes pendant le confinement face au défi de la continuité pédagogique à distance, les enseignants se sont tournés les uns vers les autres dans des collectifs créés en ligne, ou la « salle de profs idéale ».  En effet, depuis le début du confinement un grand nombre de sites, de groupes ou de plateformes comme Etre prof, PE maternelle, Eduvoices, Profs en transition, qui rassemblent des professeurs dans un élan de solidarité, ont le vent en poupe. A titre d’exemple, la fréquentation et le nombre de membres du site Etre prof ont doublé depuis le confinement pour atteindre aujourd’hui 300 000 utilisateurs actifs, et 55 000 membres inscrits. Le succès de ce type de dispositif s’explique entre autres par la réactivité des membres, le partage d’informations et de méthodes pédagogiques, ou encore l’allègement du sentiment de solitude.

En effet, pour plusieurs professeurs, cette expérience a généré beaucoup de peurs et de questionnement vis-à-vis de ce que le numérique va apporter comme menaces et difficultés pour leur métier. Cependant, cette révolution promise par les technologies éducatives ne vise pas de remplacer les enseignants. Bien au contraire selon le professionnel de la EdTech Jamie Smith, l’IA pourra enfin libérer le professeur d’une charge de travail qui ne cesse de croître contrairement aux ressources dont il dispose qui baissent depuis des décennies. Il cite entre autres un article de McKinsey, How Artificial Intelligence Will Impact K-12 Teachers  montrant l’économie de temps que l’IA pourrait permettre aux professeurs afin qu’ils puissent mieux se focaliser sur l’enseignement plutôt que sur les tâches simples et répétitives.

Les auteurs de l’article montrent qu’une étude conduite en partenariat avec Microsoft déduit que les enseignants travaillent en moyenne 50 heures par semaine, et selon l’OCDE ce chiffre a augmenté de plus de 3% en cinq ans. Au Royaume-Uni, 81% des enseignants considèrent changer de profession à cause de leur charge de travail ! Or, si aucune action n’est prise, cette tendance ne risque pas de décliner – alors que l’article de McKinsey suggère que la demande pour des enseignants dans le pays va augmenter de 5% à 24% d’ici 2030, à cause de l’accélération démographique. D’autres pays comme la Chine ou l’Inde ont eux une projection d’augmentation de plus de 100%.

Cependant l’intelligence artificielle peut aider à contrer cette tendance dont l’Europe et la France ne seront sans doute pas exclues. La recherche de McKinsey estime que 20 à 40% du temps d’un enseignant est actuellement consacré à des activités qui pourraient être automatisées. Il faut dès lors tirer profit de ce gain de temps en intégrant l’IA davantage dans les pratiques.

Ainsi, il est important désormais d’adapter la formation du professeur en vue de le préparer aux outils dont l’usage pourra lui faciliter la tâche. Le Grenelle de l’éducation lancé par l’Education nationale est une initiative importante à l’occasion de laquelle plusieurs avis ont été partagés sur la question, avec des propositions qui vont dans ce sens. Au Canada aussi l’on s’en préoccupe, d’où la réforme du référentiel des compétences des professeurs. Il inclut désormais une compétence transversale importante: la maitrise du numérique. Cela implique que la compétence numérique devra être reflétée dans chacune des autres compétences du cadre de référence. La réforme aura non seulement un impact sur la formation des enseignants mais aussi sur la qualité de l’enseignement qui verra son champ élargi.

Des initiatives encourageantes

La bonne volonté des acteurs de toute part ne cesse de se manifester, notamment via des initiatives qui permettent de stimuler l’innovation et la mise en relation entre l’offre et la demande. A titre d’exemple, un appel à manifestation d’intérêts (AMI) pour des sponsors en éducation numérique a été lancé par le Programme des Investissements d’Avenir (PIA) : « Challenges Éducation ». Le principe ? « Challenges Education » identifie une entreprise ou une entité publique qui dispose d’une problématique applicative précise. Un challenge conduit à sélectionner une ou plusieurs start-up(s) ou PME qui devront construire dans un délai limité (entre 3 et 18 mois) une solution innovante à la problématique posée. Ces projets pourront donner lieu à la réalisation d’une preuve de concept (« PoC ») et servir de première référence aux lauréats sélectionnés. Si parmi nos lecteurs certains souhaitent y participer, les candidatures doivent être adressées sur l’espace approprié du site de BPI France avant le 11 janvier 2021.

Aux États-Unis, cette collaboration entre des grands comptes et des start-ups de la EdTech est également de plus en plus présente. Nous pouvons le déduire notamment du récent partenariat entre Microsoft et Code.org, visant à informer les élèves de l’école primaire au lycée sur l’intelligence artificielle (IA). Rendu possible grâce au dernier don de Microsoft de 7,5 millions de dollars américains, Code.org prévoit une approche englobante et adaptée à l’âge des élèves pour enseigner le fonctionnement de l’IA ainsi que les considérations sociales et éthiques associées. De plus, au cours de l’année à venir, les leçons d’IA et d’apprentissage machine seront intégrées au programme CS Discoveries – l’un des cours d’informatique les plus utilisés par les élèves de la 6e à la 10e année – et à la populaire App Lab, qui permet la création d’applications utilisée dans tout le collège et le lycée.

Tous ces éléments annoncent l’évolution exponentielle que connaît le rôle de l’intelligence artificielle dans l’éducation et pour l’éducation. L’importance de la coopération à toutes les échelles est davantage mise en valeur par les projets divers construits autour du sujet. Nous espérons qu’avec cette prise de conscience qu’a provoquée la crise, plus de moyens et d’efforts seront reconduits dans l’accès aux technologies et dans les formations dédiées. En 2021, la Fondation l’Intelligence Artificielle pour l’Ecole continuera à mettre en avant et soutenir de telles initiatives en apportant sa pierre avec conviction pour un avenir meilleur de l’éducation.