Alors qu’elle valait $2.022 milliards en 2019, un récent rapport montre que la part de l’intelligence artificielle dans le marché de l’éducation est estimée croitre jusqu’à $3.68 milliards d’ici 2023. C’est dans ce contexte d’expansion de l’IA qu’une récente tribune du journal américain The Hill est venu s’inscrire. A la lumière de la destruction de millions d’emplois par la Covid-19, une redéfinition des compétences pour l’économie du 21e siècle s’impose.
Ce changement passera avant tout par l’éducation. A travers l’analyse de crises passées, nous savons déjà qu’elle est cruciale en vue d’une reprise économique. Après 2008, par exemple, 11.5 millions des 11.6 millions d’emplois créés aux Etats-Unis ont été accaparés par ceux ayant bénéficié d’une éducation supérieure. Cette tendance est vouée à s’intensifier. Dû à la nature de la crise actuelle, l’éducation en tendances émergentes telles que la data science, l’IA, ou encore le marketing digital, sera certainement centrale dans le processus de reprise économique. Petit point sur les initiatives des dernières semaines qui vont dans ce sens.
Préparer le changement
La redéfinition des compétences est déjà bien amorcée sur le territoire français. Une école spécialisée en intelligence artificielle a ouvert ses portes fin octobre, à Brest. Sponsorisée par Microsoft, et en partenariat avec neuf employeurs du département, elle permettra à 20 élèves d’apprendre le métier de développeur en intelligence artificielle. Ces derniers, tous demandeurs d’emploi, ont entre 20 et 47 ans. La formation est d’ailleurs soutenue financièrement par Pôle Emploi, ainsi que par la région Bretagne et les collectivités locales. Le programme propose une formation théorique intensive de sept mois, à la suite de laquelle les étudiants effectueront 12 mois en alternance dans les entreprises partenaires. Parmi celles-ci, on compte notamment Alcatel-Lucent, Thales, Arkea Crédit Mutuel, Brest Métropole, ou encore Capgemini. Microsoft et son partenaire, l’organisme de formation au numérique Simplon, ont désormais 23 écoles IA en France – où ils espèrent former 1000 personnes d’ici 2022.
Toujours en France, une initiative de deux journalistes d’Europe 1 est également à souligner. Avec ViensVoirMonTaf, Virginie Salmen et Mélanie Taravant mettent en avant leurs réseaux dans le milieu du numérique au profit d’élèves de 3e en zone d’éducation prioritaire, afin qu’ils puissent y trouver un stage.
Le changement passe aussi par les nombreuses conférences qui se multiplient sur ces questions. A l’occasion du récent colloque virtuel du Lab-Ecole, le consultant en éducation François Guité a par exemple présenté une conférence intitulée ‘Pédagogie, lieux et technologies : les affordances d’une école intelligente’. Les apports de l’IA y furent longuement mis en avant. L’intervenant rappela également que, bien entendu, « l’intelligence artificielle ne pourra pas remplacer l’intelligence humaine » ; « des données seront traitées par la machine, mais il y a un apport de l’être humain qui est nécessaire pour faire du sens ». L’enseignant, loin d’être remplacé, n’en verra en réalité que sa valeur rajoutée. La Fondation l’IA pour l’Ecole rappelle également que le salon de l’EdTech aura lieu le 7 avril 2021, à Lyon.
Par ailleurs, à des milliers de kilomètres de chez nous, la plateforme émirati Alef Education, que nous évoquions déjà dans un précédent article, est destinée à un futur haut en couleurs. Le Ministère de l’Education des Emirats Arabes Unis vient d’annoncer que la plateforme serait étendue à 196 écoles à travers le pays d’ici la fin de l’année. Ainsi, 40 000 étudiants supplémentaires seront impactés par cette transformation de l’offre éducative dans le pays.
Le Ministère de l’Education des EAU s’est largement basé sur le succès de la plateforme à Abu Dhabi, ou elle fut lancée en 2017. Depuis, plus de 100 000 étudiants dans 150 écoles publiques à Abu Dhabi ont utilisé la plateforme comme un moyen primaire d’enseignement.
Les moyens du changement
Pour amorcer un changement, encore faut-il s’en donner les moyens. De plus en plus d’applications et de plateformes numériques ou basées sur l’IA voient le jour.
TeachReo, par exemple, vise à démocratiser les classes virtuelles. Cette plateforme avec actuellement 6000 utilisateurs ambitionne d’atteindre les 20 000 en proposant une solution performante, respectueuse des données, et hébergée en France.
N’Oublie Jamais aide quant à elle les élèves à réviser d’une manière plus efficiente. Créée par des médecins et inspirée des travaux d’Émilie Gerbier, docteur en sciences cognitives et maître de conférences à l’Université Côte d’Azur, l’application adopte une méthodologie et une stratégie adaptée afin d’optimiser la mémorisation et assister l’apprentissage sur plusieurs plans.
Audace Digital Learning a également développé un jeu pédagogique en ligne, « Down by the sea ». Utilisé par l’Institut Montpellier SupAgro dans son cursus officiel, le jeu permet de mettre les élèves en situation réelle quant à la thématique de la gestion des ressources naturelles.. Grâce à un algorithme complexe qui permet de simuler en temps réel les impacts de leurs actions et décisions sur l’évolution des ressources, un grand nombre de notions et de compétences sont illustrées de manière ludique. La rétention de connaissances n’en ressort que renforcée.
Un des domaines de l’IA qui connait la plus grande expansion dans le monde de l’éducation est l’aide à l’apprentissage des langues. A l’affiche cette semaine, une femme vietnamienne nommée Vu Van a obtenu un important financement de la part de Google pour son application ELSA (‘English Language Speech Assistant’), lancée en 2015. Basé sur l’IA, ELSA permet aux personnes ne parlant pas anglais de communiquer de manière claire et confiante. Alors que l’application connaissait jusque récemment un succès très limité, la crise sanitaire a décuplé la popularité des applications de e-learning. ELSA compte ainsi désormais environ 11 millions d’utilisateurs. Facebook développe également une IA (M2M-100) qui peut réaliser des traductions entre 100 langues différentes sans passer par l’anglais (ce qui était le cas auparavant). Cette révolution aura très certainement un rôle à jouer au niveau de la levée des barrières linguistiques à l’apprentissage.
L’auteur américain Bernard Marr, spécialiste en nouvelles technologies, revenait d’ailleurs lui aussi dans un article pour Forbes le 16 octobre sur l’utilisation de l’intelligence artificielle dans l’application éducative au service de l’apprentissage des langues Duolingo. Lancée en 2011, Duolingo est depuis devenue l’une des applications éducatives les plus téléchargées, avec 300 millions d’utilisateurs. L’IA y joue un rôle important. Tout d’abord, le logiciel commence par un test de placement piloté par une intelligence artificielle, afin de déterminer les connaissances de départ de chaque utilisateur pour la langue qu’il souhaite étudier. Conduit de manière adaptative, il permet en cinq minutes de proposer à un nouvel utilisateur à quel niveau il devrait commencer le cours. L’apprentissage en ressort nettement favorisé.
Gare au solutionnisme technologique
Pour autant, la Fondation l’IA pour l’Ecole ne fait pas partie de ceux qui pensent que la technologie est la solution à tout. Elle demeure un outil ; l’éducation en classe, avec un professeur, reste vitale. La Fondation rejoint en cela Justin Reich, chercheur au MIT et qui a récemment publié ‘Failure to disrupt. Why technology alone can’t transform education’. Les utopies prophétiques de la Silicon Valley quant au remplacement intégral de l’éducation dite ‘traditionnelle’ ne se sont pas réalisées. Les MOOC (‘Massive Open Online Courses’) n’ont pas eu l’effet disruptif tant attendu par certains. De même, l’auteur montre comment l’EdTech profite disproportionnellement aux plus favorisés.
De bons usages du digital existent, et doivent être soutenus. Mais le solutionnisme technologique ne peut être conçu comme une panacée pour tous les problèmes de l’éducation. C’est d’ailleurs probablement dans ce sens que doit être lue l’annonce d’un ‘Grenelle de l’éducation’ par le Ministre de l’Education nationale. La finalité du projet est d’aboutir à une loi de programmation pluriannuelle dès 2021 pour l’Education nationale. Les axes abordés par le Ministre sont la reconnaissance (avec, à la clé, notamment une revalorisation du statut du professeur), le coopération et l’ouverture. Après les Etats généraux du numérique pour l’éducation, on élargit le champ. L’Ecole ne s’en portera que mieux.